Les Métaphotographies de Tatjana Sonjov

Paru dans Art Côte d'Azur, le 26/12/2022. Par Alain Amiel

 

 

Il arrive qu’on se retrouve dans la rue devant des immeubles en cours de démolition dont il ne reste qu’un mur portant encore les traces des étages. On devine différentes pièces avec le papier peint des chambres ou des salons, le carrelage des cuisines et salles de bain, etc. Ces vestiges de vies passées font naître en nous des sentiments complexes où souvent tristesse et nostalgie émergent. Leur silence est plein des traces laissées par les mouvements du vivant.

 

Tatjana Sonjov est habitée par ces émotions là et nous les communique par son art. Elle peint ou isole dans ses photographies ces vieux murs imprégnés de poussière, de signes, rappelant que des gens ont vécu là. Ces murs ont été témoins de leur amour, de leurs souffrances… Ainsi une infinité d’histoires humaines se racontent.

 

Les radiateurs l’intéressent particulièrement. Fixés aux cloisons, ils ont contraint les peintres à travailler autour, révélant les couches de papiers peints ou de peintures précédentes accumulées. Les strates sont encore là, discernables, preuves de choix volontaires de chaque occupant, comme on aurait pu choisir des vêtements.

 

Ces lieux de relégation, de confinement, d’enfermement (hospices, prisons, hôpitaux, etc.) mis à la marge du collectif et ses récits, l’attirent. Dans ces lieux abandonnés, souvent juste avant leur démolition, sont encore visibles les traces laissées par l’histoire souvent tragique de ces vies dévastées dont certains évoquent son histoire familiale (de camps de réfugiés).

 

Face à l’entrée de la galerie, la photographie à l’échelle réelle d’un mur portant la trace d’un lavabo (accompagné de son support tordu encore présent) est particulière émouvante, d’autant qu’on apprend qu’elle est issue d’un sanatorium.

 

Sur un mur étroit qui renvoie à la taille réduite d’une chambre individuelle, la trace du miroir qui devait être au-dessus du lavabo est bien présente. On imagine que se sont regardés là de nombreux patients qui ont scruté leur visage pour juger de l’avancée de leur maladie, pour y contempler leur tristesse ou leur détresse.

 

Ce mur porte également des cicatrices, on y discerne sa matière, sa couleur, les couches de peinture successives. Les lignes droites des baguettes recouvrant les fils électriques, les formes rondes des supports d’ampoules, le vieil interrupteur en forme de sein avec téton, les taches sombres comme des maladies de peau transforment ce mur en peinture abstraite. Car Tatjana est une peintre, celle de l’effacement, du recouvrement, des stigmates, de la disparition… Elle nous donne à voir ces espaces intimes, ces strates de vies, où c’est toujours l’histoire individuelle qui perdure…

 

Dans d’autres photographies d’empreintes de radiateurs, on voit également l’impact de la chaleur sur la peinture. Pas la violence des brûlés d’Yves Klein, mais une chaleur plus douce et persistante qui a cuit lentement la peinture pendant des décennies. Un marron doré aux fines craquelures semble s’imposer sur les couleurs alentours. Le destin de la peinture n’est-il de se craqueler ?

 

Tatjana Sonjov - Article Chez Lola Gassin - Hélène Jourdan Gassin

Tatjana Sonjov – « Histoires sous-peintes »

Paru dans l'Art de Nice, le 08/06/2021. Par Michel Gathier

Exposition à la Conciergerie Gounod, Nice. Jusqu'au 19 juin 2021

 

 

Mémoire et oubli s'adossent mutuellement mais, de l'un à l'autre, comme pour le vide ou le plein, il en résulte l'immédiateté d'une conscience et toute culture se construit sur le labour de ce champ-là. Des musées et des bibliothèques, lieux de mémoire et de partage, on y lit aussi l'arbitraire d'un choix et d'une hiérarchie de valeurs. De ce qu'on collectionne, l'objet se déforme ou s'efface dans le temps. Il en subsistera portant une trace qui se métamorphosera en une forme nouvelle et l'art a pour vertu d'en explorer les contours et de les soumettre aux exigences du temps.

 

Mémoire et oubli mais aussi l'éternité et l'éphémère. L'artiste se transforme alors en archéologue du présent. De l'objet, il en considère l'empreinte, celle d'un premier souffle ou bien le témoignage d'une disparition. Cataloguer les « petits riens », c'est révéler l'âme invisible du monde, arracher des parcelles de sensible à l'amas anonyme des choses, fixer pour un temps ce qui deviendra transformation.

 

Tatjana Sonjov nous parle de cette identité qui se construit et qui se perd. Elle part à la découverte de ce qui est abandonné pour traiter la peinture dans le cérémonial du souvenir. Radiateurs et grilles d'aération arrachés à des habitations en friche en dessinent l'architecture. Il n'en subsiste que ces traces que l'artiste dans un premier temps photographie avant de les confier à la précarité d'une vie nouvelle. Utilisant des techniques anciennes, elle redonne noblesse à ce qui fut un espace intime, un lieu de chaleur et de vie.

 

Ses « histoires sous-peintes » restituent le souffle de l'existence. Elles racontent aussi l'histoire de la peinture qui se conjugue à celle de son effacement. Alors autant ne pas sauter d'un objet à l'autre mais plutôt se concentrer sur un seul espace, sur la simplicité nue d'une série de grilles d'aération avec leurs anciennes peaux de tapisserie, leurs pellicules de peintures blafardes et leur environnement de ruines. Les gravats signent la présence d'un monde désaffecté qui supplie qu'on lui accorde une autre chance. Sur les jachères de ce monde, de la pensée finira bien par éclore. C'est en cela que les œuvres de Tatiana Sonjov parviennent à s'incruster dans notre mémoire. Par leur humble présence, elles nous accompagnent comme dans un murmure. Souvenons-nous de Rimbaud : « Ô buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires,/ Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis/ Quand s'ouvrent lentement tes grandes portes noires. »

Tatjana Sonjov : la peinture en chantier

Paru dans La Strada, en juin 2020. Par Michel Sajn

 

Tatjana Sonjov est une artiste atypique. Diplômée en Sciences Politiques (IEP Paris) et en Histoire de l’art (Université de Lille 3), elle a centré son travail sur l’histoire, la mémoire, et son corollaire l’oubli, dans leurs relations au corps. Elle expose ses Histoires sous-peintes jusqu’au 19 juin à la Conciergerie Gounod, à Nice.

 

Tatjana Sonjov travaille sur l’empreinte, la trace, la tache, sur ce qui reste du vécu plus que sur le vécu lui-même. Pour elle, il y a une infinité de possibles entre ce que l’on met en exergue et ce que l’on éclipse, et ceci de l’architecture de nos pensées et tissus à celle de nos habitats et cités. La peinture, la photo ou l’installation sont autant de formules qui lui permettent d’explorer cette multitude de possibilités.

 

Des traces de vie

« Je ne veux pas devenir un joli peintre, je veux peindre impitoyablement », expliquait Raoul de Keyser, peintre belge dont la brutalité picturale a marqué Tatjana étant enfant. Cette Serbo-Belge porte en elle un côté slave aussi entier que passionné. Elle est troublée par la nostalgie d’un pays qui n’existe plus : la Yougoslavie. Elle a cette nostalgie slave qui lui a fait « déchiffrer » pour nous les traces laissées sur des murs d’habitations rurales abandonnées, des architectures urbaines en transition, des murs « porteurs », qui dans certains états de délabrement laissent voir différentes couches de peintures et papier peints, des traces de vies, des histoires familiales, des souvenirs qui jusque dans les murs sont criants de vérité. Ses assemblages de photos de murs déconstruits, abandonnés, etc., ressemblent à ces « réussites » faites de cartes à jouer que les « diseuses de bonne aventure » retournent pour y lire l’avenir. Chaque « carte » ou vue de mur devient ainsi une invitation à lire les réminiscences du passé qu’elle recèle.

 

Elle a aussi travaillé sur les traces que laissent les radiateurs sur les murs, bien souvent un vide dans le revêtement, car ils occupent un espace qui n’a pas été peint ou tapissé : « Lorsque je me suis mis à voir des radiateurs partout dans l’œuvre de Rothko, à rechercher l’absence dont parlait Motherwell dans la matière picturale des bouches d’aération, j’ai compris que mon vécu corporel de ces lieux avait totalement changé mon rapport à l’œuvre ». Cette déclaration explique aussi pourquoi les grilles d’aération l’ont attirée, obsédée. Ces grilles sont aussi celles que l’on retrouve dans la conception bien souvent d’un plan image, elles sont aussi l’évocation de la respiration, du souffle, de la vie, du rapport de l’intérieur à l’extérieur dans un bâtiment, comme on pourrait figurer le rapport à l’autre, et plus loin encore comme un rapport à soi, à l’intime avec ce souffle qui passe par ces grilles qui, comme des bouches, sont le seul endroit par où l’air circule…

 

Une peinture à l’état brut

Elle travaille avec son corps et organise des télescopages entre différentes conceptions de la peinture. Et cette dernière est un perpétuel chantier, aussi bien au premier qu’au second degré. C’est bien pour cette raison que l’on retrouve rouleau et instrument de peinture du bâtiment. La peinture à l’état brut. Voilà jusqu’où elle est allée… Jusqu’à peindre ses grilles avec toutes les sortes de peintures qu’elle pouvait trouver, avec une exigence : qu’elles soient les plus saines possible, c’est-à-dire bio, mais aussi en travaillant à la création de matières à peindre fabriquées « à l’ancienne ». La peinture devenant organique, comme la chair, le souvenir devenant concret comme la trace…

 

De prime abord abstrait, son travail en devient charnel tant la poésie et le corps le sous-tendent. Impressionnant de puissance et de douceur, de fragilité et de force, ses œuvres sont dictées par l’émotion et le silence, le trop-plein et le vide. En fait, il y a là cette cyclothymie si chère aux Slaves qui pleurent par plaisir et se rient de la mort. Quand le corps parle à l’âme…

 

Gare du Sud Nice - Exposition Galerie Martin Sauvage

Interview Journal télévisé de FR3 - décembre 2019

Tatjana Sonjov - Interview JT FR3 Alpes-Maritimes

Place du Grand Jardin - Série "Mémoires dévalées" pour la Journée Eau et biodiversité. Vente aux enchères Drout en ligne au profit des sinistrés autour de Franta, Ernest Pignon-Ernest, Jacques Renoir...

Tatjana Sonjov - Article Moving Art - Nicole Laffont

 

La mémoire retrouvée de Tatjana Sonjov, une oeuvre qui s'inscrit dans le futur

Paru dans Moving Art, le 30/06/2019. Par Nicole Laffont, Critique d’art

Exposition Citadelle de villefrance-sur-Mer, Galerie Sauvage, juin 2019

 

Bien-sûr le propos (intelligent, percutant, émouvant). Bien-sûr la facture (habile, inventive, soignée). Mais il y a autre chose qui finalement s’impose comme un essentiel. L’émotion que l’on ressent devant l’installation de Tatjana Sonjov présentée dans le cadre majestueux de la citadelle de Villefranche-sur-Mer.

 

Appel à la contemplation, à la réflexion, à la communion aussi. Dans la mesure où chacun, peu ou prou, se sent forcément concerné par cette œuvre plastique qui en dit long sur la mémoire cicatricielle, le poids des générations et l’empreinte culturelle qui, à bas bruit, façonne nos vies.

 

Tatjana a longuement réfléchi. Elle a chiné des objets insolites afin de pouvoir construire son triptyque. Des bavoirs anciens finement ouvragés ont reçu des jets de peinture noire, comme pour dire la trace des soins maternels et des exigences qui en découlent. Elle a pris soin aussi d’apporter sa marque en brodant sur l’étoffe des petites figures jaunes ou rouges, souvenirs, larmes ou regrets.

 

Sa performance consistait à habiter un lieu magique, chargé d’histoire. Tatjana a habillé les colonnes de draps brodés qui évoquent des familles, des générations. Elle a posé des chaussures comme des pieds qui se dévoilent pour bien affirmer qu’il s’agit ici d’une aventure humaine en marche vers un avenir certain même si sa consistance baigne dans l’incertitude. Nul ne peut rester insensible devant cette façon très personnelle d’investir un monument patrimonial. Tatjana Sonjov a beaucoup de chemin devant elle car dans son esprit de plasticienne inspirée se bousculent des tas d’idées nouvelles dont elle craint souvent qu’il ne s’agisse de redites. Ce doute vertueux est la vraie marque du talent.

 

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