Démarche artistique
De nationalité serbe et belge, Tatjana Sonjov est diplômée de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris et en Histoire de l'Art.
Son histoire familiale, avec un exil de Serbie vers l'Europe, l'a conduite à s'intéresser plus particulièrement à l'empreinte, la trace, la tache laissée par le vécu.
Les tableaux comme l'expliquait Derrida, ne procèdent-ils pas comme l'écriture de cette volonté de faire trace ?
Sa white cube en tout cas, a les portes et fenêtres grandes ouvertes sur le réel. C'est un espace reconnecté aux éléments, qui a retrouvé son rapport au temps.
"Infra-ordinaire"
"Questionnez vos petites cuillers", écrivait George Perec.
Tatjana Sonjov accorde une attention toute particulière à cet "infra-ordinaire", aux objets quotidiens qu'on ne regarde plus et à leurs formes singulières.
En réaction au consumérisme et à la pasteurisation des images, elle s'attache à cette petite histoire, ces traces qui conditionnent notre rapport au monde et la façon dont nous pouvons nous projeter vers l'avenir.
Qu'importe le medium, il s'agit ici toujours de peinture, perçue comme un craquellement, un effacement, une disparition en devenir.
Réalisée dans un ancien sanatorium, sa série "N'oublie pas de te laver les mains" renvoie ainsi à cette présence de l'absence, ces éléments cachés qu'on ne montre jamais et leurs formes fantomatiques.
Un support-care
Si elle réalise des photographies de murs de "Radiateurs" déposés, c'est parce qu'avant cela Duchamp a initié le Ready-made et que Supports/Surfaces, qui a eu ses membres azuréens, a nourri ce lien entre l'art et les métiers du bâtiment.
Mais où étaient les femmes de cette histoire de l'art ?
Après la mise à distance de l'art conceptuel, l'artiste semble à l'inverse entretenir une grande proximité avec les formes qui l'occupent.
Dans ses "Grilles" d'aération, clin d'oeil aux grilles de composition, il y a une sensorialité des matériaux.
Dans ses "Zitounes", acte gratuit en direction de machines d'un moulin à huile, il y a ce care et cet héritage écoféministe en trame de fond.
Lorsqu'on la voit peindre, c'est avec un rouleau, une tasse, une grille d'aération, des feuilles ou les olives qu'elle foule sous le pied.
Tatjana Sonjov partage en peinture son quotidien : la chronologie de ses repas en famille dans ses "Tables", réalisées avec des sauces ou transposées en marqueterie, et la réduction de l'espace de son appartement dans "Les murs porteurs".
En éponge, elle est comme poreuse à ces objets qui l'entourent.
Ces objets font partie de ses murs, ils vivent, se salissent et vieillissent, comme un corps maison inscrit dans le vivant.
Par Geoffroy Chatenet